Installé à Esquièze-Sère, près de Luz-Saint-Sauveur, Florent Huard milite pour une apiculture raisonnée, loin des modèles traditionnels.
En France, il est le seul producteur de gelée royale à s’être lancé avec des ruches kényanes. Rencontre avec un apiculteur passionné et convaincu qu’il existe une voie alternative pour la production de miel et de gelée royale.Par Charlène Lermite
C’est seulement équipé d’un enfumoir et de quelques outils ceinturés autour de la taille que Florent Huard s’approche de ses ruches kenyanes dont il ouvre le toit avec délicatesse. Sous une couche de laine isolante, ses abeilles construisent de précieux rayonnages de cire. « Mes abeilles sont plutôt calmes », précise-t-il avec le sourire. Les abeilles façonnent à la fois l’activité et le mode de vie de cet apiculteur qui a pris ses quartiers dans une maison à flanc de roche à Esquièze-Sère, près de Luz-Saint-Sauveur. Avec son magasin au rez-de-chaussée et son atelier à l’étage, cette habitation a donné son nom au « Rucher Pentu ».
Installé dans les Pyrénées depuis 2010, le quadragénaire originaire des Deux-Sèvres (79) s’est lancé dans un modèle inédit en France : la production de gelée royale dans des ruches kenyanes. « Je suis le seul à faire cela », commente l’apiculteur.
D’abord sapeur-pompier puis éducateur sportif, Florent Huard revient d’une expérience à La Réunion lorsqu’il pose ses valises dans les Hautes-Pyrénées et que la passion des abeilles le rattrape.
ENSEIGNANT AU CFPPA PRÈS DE TOULOUSE
L’été, Florent Huard ouvre les portes du Rucher Pentu avec des ateliers qu’il propose via l’office du tourisme. Une trentaine de personnes se déplacent tous les lundis pour venir à la découverte de ses ruches kényanes et déguster ses gaufres au miel. Durant ce moment de pédagogie, il délivre des connaissances sur le monde des abeilles et le modèle agricole qu’il prône avant d’ouvrir et de présenter une ruche kényane à 18 heures.Il propose aussi des formations aux ruches kényanes deux fois par an. Prochainement, il interviendra au CFPPA Auterive près de Toulouse, une formation certifiante en apiculture, pour présenter sa façon de faire et partager son expérience. Les stagiaires de l’option apiculture du CFPPA devraient aussi venir visiter son exploitation agricole.
LE RETOUR AUX ABEILLES
« Quand j’étais enfant, j’étais fan d’insectes, je les collectionnais. Je m’intéressais à l’habitat des animaux en construisant des cabanes pour les cochons d’Inde, pour les tourterelles », confie Florent Huard. Il travaille alors comme maître-nageur à la piscine de Luz-Saint-Sauveur et accompagnateur en moyenne montagne. Mais, tout son temps libre, c’est avec les abeilles qu’il le passe : « J’ai commencé à comprendre la filière en France et à l’étranger, j’ai fait des plans, j’y passais un temps fou. Pour moi, l’objectif était de créer un partenariat entre l’abeille et l’homme pour revitaliser les colonies en améliorant leur espace naturel d’habitat. Je voulais faire quelque chose pour les soulager. »
Depuis la fin des années 90, les abeilles domestiques sont confrontées à une mortalité anormale et à l’effondrement de leurs colonies.
DES RUCHES KÉNYANES
À partir de 2011, ce personnage aussi humble que déterminé s’intéresse de plus près aux ruches kényanes, dans lesquelles les abeilles construisent naturellement et sans cire gaufrée, un procédé utilisé dans l’apiculture conventionnelle qui permet d’augmenter la production de miel vu que les abeilles n’ont pas à construire leurs alvéoles.
Le modèle des ruches kényanes se développait aux États-Unis et au Royaume-Uni. Elles avaient été mises au point par des Canadiens et des Européens qui voulaient moderniser l’apiculture en Afrique, où la récolte de miel se fait par cueillette ce qui détruit les abeilles, explique en détail l’apiculteur. Elles ont d’abord été installées au Kenya dont elles tirent leur nom. « Sur les plans, je ne comprenais pas les dimensions de ces ruches, il fallait trouver un compromis entre trop petit et trop grand. Je passais toutes mes vacances dans l’atelier, je dépensais mon temps et mon argent sans autre objectif que d’améliorer l’habitat des abeilles. Après trois ans, j’ai trouvé les dimensions optimales pour qu’une colonie puisse vivre sans ajout de sucre tout en récoltant du miel », raconte-t-il avec passion.
Il met au point pas moins de sept modèles de ruches différentes. Après le partage de ses expérimentations sur son site Internet et un article dans un magazine, il reçoit des demandes pour ses ruches kényanes et les commercialise. Il a depuis passé la main sur cette partie de son activité qui est maintenant assurée par Johann Lannegrand en vallée d’Aspe dans son atelier Faites pour Ailes.
❝ Chaque année, l’apiculteur récolte 10 kg de gelée royale et produit 500 kg de miel. ❞
UN MODÈLE DIFFÉRENT
Convaincu qu’il est possible de faire du miel différemment en France, Florent Huard s’intéresse de plus près à la production de gelée royale. « Vers mes 37-38 ans, je ne pensais plus qu’aux abeilles. La question de ce que j’allais faire de la seconde partie de ma vie s’est posée et je voulais tenter une installation comme un producteur ». Explique-t-il.
En 2019, il passe son brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole. « En un an, j’ai appris beaucoup de choses, notamment comment établir un plan économique et les échanges avec mon professeur de comptabilité m’ont permis de vérifier la faisabilité du projet. En 2021, je suis devenu chef d’exploitation pour mes 40 ans », sourit-il.
Il signe son plan économique devant la chambre d’agriculture pour faire de la gelée royale en ruche kenyane alors même qu’il ne l’avait pas mise en production. « Personne ne fait cela, mais je voulais tenter et mettre au point un modèle différent. La majorité de la production de gelée royale vient de Chine. Ici on essaye de ne pas polluer et de valoriser notre production avec les labels bio et Esprit Parc. Il faut enclencher ce retour en arrière, entendre qu’il y a d’autres récits possibles, mais, cela va prendre du temps », souligne Florent Huard.
❝ Seules les reines se nourrissent uniquement de gelée royale, elles vivent 30 à 40 fois plus longtemps qu’une abeille ❞
UNE PRODUCTION FASTIDIEUSE
La gelée royale est un produit d’exception aux propriétés antifatigue, antioxydantes, antistress qui peut être utilisée en cure préventive. « Elles se récolte entre avril et mai et c’est un travail fastidieux et compliqué. Tous les trois jours, il faut greffer 1500 cellules, récolter et introduire », explique en détail Florent Huard. Une ruche particulière est utilisée avec une partie où la reine ne peut pas accéder et ne va pas pouvoir répandre ses phéromones. « Lees abeilles vont avoir un comportement d’élevage car elles se sentent orphelines », continu-t-il. Il installe des rayonnages avec des cupules contenant des larves et les abeilles vont faire des cellules à reine et les remplir de gelée royale qu’il prélève. « Seules les reines se nourrissent uniquement de gelées royale, elles vivent 30 à 40 fois plus longtemps qu’une abeille ». Chaque année, l’apiculteur récolte 10 kg de gelée royale qu’il vend directement. Il produit également 500 kg de miel, « ce qui suffit pour utiliser le minimum de machines et presser à la main », ajoute-t-il.
800 RUCHES EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
L’an dernier, en février, Florent Huard a pris la direction de la République démocratique du Congo. « C’est un projet mis en place par l’agence de développement belge Enabel. Avec l’ONG Apiflordev, nous avons installé 800 ruches dans des villages reculés, pour participer à la conservation des forêts qui sont des puits de captation de CO² et dont les arbres sont abattus pour récolter le miel. L’utilisation de ruches est moins fatigante pour les villageois, permet de préserver la forêt et de revendre du miel pour un bon prix à Kinshasa. Nous avons animé des formations sur le matériel et la commercialisation », précise Florent Huard qui a passé trois semaines sur place. Son arrivé a été vue comme une aubaine pour l’ONG étant l’un des rares spécialistes des ruches kenyanes qui sont utilisées en RDC.
La récolte du miel se fait, elles, fin juillet avec des miels de tilleul, de ronces, de rhododendron et de bruyère. « Une ruche kenyane produit 5 à 15 kg pour une ruche conventionnelle », explique-t-il. Le quadragénaire estime le surplus de miel produit par ses abeilles et ne prélève que ce surplus pour leur permettre de continuer à vivre en bonne santé sans les nourrir alors que dans l’apiculture conventionnelle, tout le miel est en général récolté.
❝ N’étant pas originaire des Pyrénées, je ne voulais pas faire comme les autres ❞
UN CHOIX DELIBERE
L’apiculteur d’Esquièze-Sère prône une activité raisonnée et privilégie la production de gelée royale pour cette raison. « La production de miel était compliquée pour moi car il m’aurait fallu 250 ruches productrices et je voulais limiter mon investissement et l’empreinte carbonne de mon activité en restant sédentaire. J’ai actuellement 30 ruches de gelée royale, 70 pour le miel et une dizaine pourvoyeuse de larves et pour l’élevage. N’étant pas originaire d’ici, je ne voulais pas faire pareil que les autres », continue-t-il. Il vend principalement directement sur la propriété et sur son site Internet. « La vente en ligne est compliquée car le Chine est un gros producteur qui pratique des prix très concurrentiels. Ici c’est touristique, donc je peux vendre en direct », souligne Florent Huard. Pour l’apiculteur, l’aventure ne s’arrête pas là. « Mon objectif est aussi d’inverser le modèle de la société en proposant un produit naturel, réalisé différemment. Mon pari est en train de fonctionner, je suis sur la bonne courbe », conclut-il.
Occitanie, terre de miel
Avec 4 242 tonnes de miel produites, l’Occitanie représente 14.2% des 29 857 tonnes produites chaque année en France.
Par Charlène Lermite
L’occitanie au coude à coude pour être la région française produisant le plus de miel dans l’Hexagone. FranceAgriMer a publié en juillet dernier son observatoire annuel de la production de miel et de gelée royale. Si la région Auvergne-Rhône-Alpes reste la plus productrice en miel en 2023 avec 4 242 tonnes en 2023, contre 4 142 tonnes en 2022, ce qui en fait la deuxième région française. Au global, la production de miel en 2023 était en recul de 4,9%, par rapport à 2022, avec 29 857 tonnes de miel produites. Mais en 2023 reste l’une des meilleures années depuis la mise en place de l’étude en 2014, souligne l’observatoire.
L’Occitanie compte 10% des 63 415 apiculteurs français enregistrés auprès de la Direction générale de l’alimentation. La récolte de cette année s’annonce, elle, en forte baisse. L’union nationale de l’apiculture française (UNAF) a indiqué début octobre estimer la récolte de miel 2024 en France à 12 000 tonnes soit 40% de moins qu’en 2023. « Contrairement aux années précédentes marquées par des sécheresses récurrentes, ce sont bien les gelées tardives, les périodes de pluies, de froid, de vent qui ont fortement handicapé l’apiculture française en 2024 », révèle l’UNAF.
❝ La récolte de miel en France connaît une forte baisse cette année ❞
4 TONNES DE GELEE ROYALE PAR AN
La production de gelée royale est, elle, plus confidentielle, il y aurait 250 producteurs de gelée royale en France. Leur production a progressé entre 2022 et 2023, passant de 37 727 kg à 4 046 kg pour 5 380 ruches dédiées. En moyenne, chaque apiculteur produit 16 kg de gelée royale. Ils sont 85,4% à travailler à temps complet et en général cette activité représente 48% de leur chiffres d’affaires. Un quart d’entre eux sont très spécialisés : la production représente plus de 80% de leur chiffre d’affaires. 68,8% de la gelée royale est bio (contre 84% en 2022). Les débouchés principaux sont les cosmétiques (33,31%) et la vente directe (19,28%).
FORTEMENT IMPORTEE
D’après FranceAgriMer, la gelée royale est majoritairement destinée à la transformation et la majorité de celle qui est utilisée dans ces transformations est importée. Chez les industriels spécialisés en compléments alimentaires, la gelée royale est achetée en vrac, l’approvisionnement réalisé en direct à l’étranger représente 100 tonnes. Du côté de l’industrie cosmétique, les grands groupes utilisent une très faible quantité de gelée royale issue d’importateurs standards et les laboratoires spécialisés en produits de la ruche sont le plus souvent des PME qui s’approvisionnent en gelée royale fraçaise. La cosmétique représente 20 tonnes d’importations.
LE MIEL EN France
– 63 415 apiculteurs en 2023 (+1,1% par rapport en 2022)
– 29 857 tonnes de miel produites en 2023 (-4,9% par rapport en 2022)
– En 2022 la France a importé 35 500 tonnes de miel et a exporté 5 200 tonnes.
– 20% du miel était importé de Chine, 17% d’Espagne et 16% d’Ukraine.
– 23% des exportations françaises vont vers la Suède, 14% vers l’Allemagne, 10% vers l’Italie.
– 99 millions d’euros (déficit de la balance commerciale)
LE BIO AUX RALENTI
La production française de miel ne permet pas de couvrir la consommation nationale qui s’élève à 45 000 tonnes par an. La vente directe reste le principal débouché pour les producteurs de miel (23,7%) et 20% en GMS si on intègre les magasins bio. La part d’exploitation en agriculture biologique progresse en 2023 de 5,2% par rapport en 2022, mais moins rapidement (la hausse était de 9,7% entre 2021 et 2022). Cela représente 1392 exploitations installées en bio ou en conversion pour 234 000 ruches et 4 499 tonnes produites en 2023 contre 4 978 en 2022. L’occitanie est la 2e région bio de France avec 22% des ruches en agriculture biologique contre 23% an Auvergne-Rhône-Alpes.